Reprendre la séquence, rejouer le scénario : antinomies du temps abstrait / temps fictif dans le jeu vidéo à narration historique

Le 7 mai, 2021, j’ai livré une communication sur la rejouabilité dans les jeux vidéo et ses effets sur la perception de l’histoire à l’occasion du 88e congrès de l’ACFAS, dans un colloque multisectoriel organisé par Simon Dor de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue et Julien Bazile de l’Université de Sherbrooke, intitulé « Contrôler le passé : conception et critique des mécaniques de l’histoire dans les jeux vidéo ». Je vous livre, ci-bas, le texte intégral de ma communication.


Les jeux vidéo sur thèmes d’histoire ne démordent pas en popularité. Certains jeux proposent aux joueurs d’assister aux point charnières de l’histoire ; d’autres, de les replonger dans une autre époque pour en faire l’expérience « directe », mélangeant tourisme et cinéma ; certains vont jusqu’à offrir aux joueurs des panoramas historiques de grande envergure, les invitant à participer au conflit entre nations à travers les siècles.

Ainsi, la popularité des thèmes historiques dans le jeu vidéo repose sur plusieurs facteurs d’attraction : la richesse narrative du discours historique ; un dispositif de simulation qui permettrait de « faire revivre », de manière inédite, le vécu de nos ancêtres ; de surcroît, un laboratoire d’expérimentation permettant aux joueurs de « tester » des scénarios historiques alternatifs.

Hormis ces thèmes historiques omniprésents, je postule avec McKenzie Wark (2007), Mathieu Triclot (2011) et Douglas Hoare (2019) que le dispositif du contrôle du temps réside au cœur de la séduction vidéoludique. Média interactif par excellence, le jeu vidéo propose aux joueurs d’entrer et de sortir « librement » du temps de jeu selon les points d’accès offerts par chaque jeu. Plus fondamentalement, le jeu vidéo simule un contrôle de la temporalité, en présentant le champ des possibles de chaque jeu comme une série de défis à entreprendre, et reprendre à volonté. En bref, le jeu vidéo offre au joueur l’expérience inédite – pour reprendre le jargon des concepteurs de jeu – de la rejouabilité du scénario du jeu.

Du point de vue du game design, la « rejouabilité » d’un jeu donné demeure un marqueur de qualité hautement prisée par les joueurs. Pour l’analyste du play cependant, cette rejouabilité inhérente aux jeux pose certains problèmes quant à la compréhension du rapport des joueurs au temps de jeu. La problématique que j’aimerais aborder aujourd’hui peut se résumer à un seul énoncé : que veut dire exactement « jouer l’histoire » à l’aune d’un dispositif de simulation qui nous permet de rejouer des scénarios historiques fictifs ? Et quelles notions de temporalité demeurent accessibles aux joueurs qui rejouent des scénarios historiques vidéoludiques ?

Modes de représentation et temporalité des jeux vidéo à thèmes historiques

Pour démêler ce nœud d’interrogations, j’aimerais d’emblée poser un certain vocabulaire qui : 1. nous permettra d’aborder la discussion d’un point de vue philosophique et 2. de conceptualiser l’historicité simulée dans les jeux vidéo.

Sur le plan philosophique, les deux points de vue qui me semblent les plus féconds pour poser notre problématique semblent ceux du joueur-historien et du développeur-historien, que je reprends d’Adam Chapman dans son Digital Games as History (2016). Pour souligner les apports de la production amateure en matière d’historiographie, Chapman avance le concept du historying – le faire-l’histoire – pratique inhérente aux courants culturels de ce qu’il est convenu d’appeler « l’histoire populaire », en opposition à l’histoire savante[1]. Selon Chapman, c’est sur le terrain de la pratique – reconstitutive, ludique, création culturelle – que le sérieux des amateurs se voit considéré dans ses apports au discours historien légitimé par l’institution.

Puisque l’économie marchande sépare la production de la consommation, toute production culturelle « réalise sa valeur dans la sphère de la circulation » (Marx), ou « trouve sa réponse » dans la consommation de l’objet vidéoludique. Je positionne donc d’emblée les figures du joueur-historien et du développeur-historien de manière distincte puisque je dois sociologiquement aborder le jeu vidéo comme une marchandise. Comme nous le verrons, le cycle de vie d’un produit vidéoludique – dans laquelle la rejouabilité occupe une place importante – ne nous permet pas de poser ces catégories de manière étanche. Et c’est là précisément où je pose ma première intervention critique : la posture de la consommation peut-elle être productive d’un discours historique ?

Pour répondre à cette question, je vous propose de revoir l’analyse de Chapman concernant les « structures de temporalité » des jeux vidéo à thèmes historiques, pour les commenter à la lumière de la rejouabilité. Chapman élabore une taxonomie des temps fictifs du jeu historique selon les styles d’historicité dominants du jeu vidéo, qu’il classe en deux catégories majeures : d’un côté, la simulation historique « réaliste », qui concerne principalement les jeux d’action et d’exploration ; de l’autre côté, la simulation historique « conceptuelle », qui recoupe principalement les jeux de stratégie.

Que dit Chapman des jeux vidéo qui cherchent à représenter la réalité « telle qu’elle apparaissait aux agents historiques »[2] ? Premièrement, les simulations historiques « réalistes » sont caractérisées par un « haut degré de spécificité sonore et visuelle ». Cette approche hérite des techniques stylistiques du « réalisme » tirées d’une longue histoire des arts et techniques en Occident. Dans ce mode de représentation, on peut souvent observer une relation inverse entre les attentions portées sur les détails et la portée narrative du jeu, limitée à un espace-temps donné. Ce type « d’immersion historique » repose pour l’essentiel sur un effet de transparence, par lequel le mode de représentation subsume son statut-même de représentation – seuls les éléments d’interface, la structure ludique de l’expérience – ou un bogue – rappellent au joueur qu’il joue à un jeu. Pour l’essentiel, les environnements de jeu simulés de manière réaliste s’appuient sur le principe de référentialité chère à l’historiographie empirique, que l’on suppose non-contaminée par l’idéologie. Enfin, puisque la description historique opère à travers l’aspect audiovisuel, ce type de représentation demeure relativement facile à interpréter pour le public.

À contrario, les simulations de type « conceptuelles », typiques des jeux de stratégie, choisissent de nous renseigner sur le passé sans prétendre à nous le montrer tel qu’il apparût aux agents historiques[3]. Ce type de simulation qui préfère l’ensemble au détail, raconte l’histoire à partir de représentations audiovisuelles figuratives ou abstraites. La description historique opère à travers les interactions avec les systèmes de jeu – ce qui permet de représenter des processus, systèmes et des actions historiques à grande échelle. En mettant l’accent sur les mécaniques de jeu, les effets narratifs charriés par les logiques algorithmiques forment l’armature de la représentation historique dans ces jeux. Du point de vue de l’épistémologie, la représentation repose de manière secondaire sur la référentialité, pour lui préférer l’encadrement par le discours historien. Cette approche, que l’on peut volontiers qualifier de « constructiviste », reconnaît l’apport de l’interprète dans la mise en forme du contenu historique. De surcroît, elle permet d’étudier les comportements des agents collectifs, et de se risquer dans des généralisations.

Voilà pour l’essentiel les deux tendances lourdes de la simulation historique analysées par Chapman. Convenons d’emblée que les contenus historiques des jeux sont des représentations fictives inspirées des faits historiques : comment donc le jeu vidéo traite-t-il du temps historique ?

Dans son livre Half-Real (2005), le théoricien du jeu vidéo Jesper Juul décrit les paramètres temporels du jeu vidéo, partant du constat que le jeu vidéo fournit un univers fictif porté à l’écran dans lequel se déroule l’action d’un jeu (scénarisée ou non), et dont le dispositif permet à un joueur d’en contrôler un agent (représenté ou abstrait) qui se trouve au cœur de l’action. Juul postule une double structure de temporalité, dans laquelle le temps de jeu – l’expérience du joueur qui joue – se rapporte dynamiquement au temps représenté dans le jeu par le game design[4].

Ce rapport entre temps du joueur et temps fictif du jeu varie, bien évidemment, selon les genres vidéoludiques. Les simulations réalistes induisent un rapport identique et simultané entre les événements représentés dans le jeu et le temps de jeu du joueur. Vous êtes non seulement dans la peau d’un personnage, mais dans le feu de l’action. Les ratio temps du joueur : temps fictif, se nouent ainsi au temps de verbe au présent – 1:1[5]. Cela dit, tant que la magie échappatoire de l’immersion opère, le joueur dans un état psychologique de « flow » perd généralement toute notion du temps. C’est seulement en rejouant une séquence – ou en étant confronté à un design bâclé – que peut survenir à la conscience du joueur l’illusion programmée du jeu. Cette structure temporelle confirme le joueur dans son impression d’être engagé dans ce que Chapman appelle les « défis exploratoires » d’un agent historique.

Le dispositif du « temps-réel » peut aussi se déployer à une échelle « macro » dans les jeux vidéo. Les jeux de stratégie en temps-réel ont longtemps donné le son de cloche de la simulation historique sur ordinateur, notamment à partir des années 1990. Ces jeux offrent au joueur un terrain de jeu en vue surplombante, et la chance de « donner des ordres » aux unités et autres éléments de jeu sur ce terrain – généralement, une carte. Par ce choix de design, ces jeux opèrent une séparation entre le temps du joueur et l’échelle du temps représenté dans le jeu. Le contrôle de la vitesse de déroulement par le joueur permet de télescoper le temps historique à volonté, à l’intérieur des barèmes du temps fictif fixé par les développeurs. In fine, les unités de temps du jeu, visibles à l’écran, viennent à signifier le déroulement du temps historique fictif dans le jeu.

À l’opposé du dispositif « temps chrono », les jeux de stratégie au tour par tour font reposer l’avancement dans la trame fictive du jeu à la discrétion du joueur. Les jeux au tour par tour entretiennent un rapport élastique avec le temps fictif de l’univers d’un jeu donné, et il n’y a pas de limite de temps qu’un joueur puisse prendre à l’intérieur d’un tour. Cette « activation temporelle par le joueur » coïncide avec l’historicité simulée du jeu.  Les paramètres structurants du genre « 4X » peuvent dès lors être utilisés pour représenter des processus historiques imbriqués les uns dans les autres, par exemple, les infrastructures économiques, technologiques et culturelles, dans une gameplay qui se veut « trans-historique »[6].

Bien qu’ils ne puissent pas contrôler le temps de jeu des joueurs, les développeurs-historiens de jeux 4X peuvent toutefois donner un sens à l’arc narratif du jeu, par le gameplay. Ironiquement, la mise en algorithme des « processus historiques » donne souvent des résultats anhistoriques, d’où les anachronismes qui pullulent les parties de jeu de Civilization. Au critique Markku Eskelinen de conclure que « les jeux de stratégie au tour par tour […] semblent favoriser les relations causales aux rapports purement temporels »[7].

Il nous reste à aborder le temps de narration dans les jeux vidéo, à partir des schémas de Chapman. De manière générale, le temps de l’action dans un jeu donné se déroule en fonction des choix de game design et de conception narrative de l’équipe de développement. L’interactivité des jeux vidéo permet cependant aux joueurs d’intervenir dans la trame narrative. Résultat : malgré qu’ils soient déclinés au temps du passé, les jeux historiques présentent l’action de la narration historique au « temps de verbe » du joueur – soit comme un événement simulé « en direct » dans les jeux d’action, soit par l’orientation futuriste du temps dans les jeux de stratégie.

Cette doublure temps passé/temps présent est une composante typique de la fiction historique dans les jeux vidéo. Le temps de verbe « impératif présent » (« fait ceci », « fait cela ») est très appuyé dans les jeux d’action, en raison des pressions induites par le gameplay sur le joueur[8]. Pour les simulations conceptuelles, il faut souligner une disposition marquée pour la potentialité dans les temps de verbe ; le joueur oriente sa pensée et son action non seulement en fonction des défis à relever, mais vers un avenir figuré qui l’appelle. En effet miroir, l’expérimentation de chaque scénario permettra au joueur de se pencher sur « les futurs non advenus de l’histoire réelle », de la narration contrefactuelle[9]. De cette manière, ces jeux mettent en évidence que le moment présent est le lieu à partir duquel s’opèrent nos représentations du passé.

Rejouabilité, quand tu nous tiens

Mais alors… si le joueur rejoue sa séquence historique en boucle, qu’adviendra-t-il de « notre présent qui interroge la passé » ?

Dans le premier chapitre de son ouvrage Philosophie des jeux vidéo[10], Mathieu Triclot jette une lumière sur les plaisirs particuliers dont tirent les joueurs de jeux de tirs à la première personne à la Doom. Du point de vue extérieur, ces jeux ressemblent à un spectacle de violence gratuite. Un spectateur attentionné remarquera cependant que les touche F5/F9, « quick save » et « quick load », sont régulièrement activées par les joueurs engagés dans des sessions de jeu prolongées. Par ce dispositif, les joueurs qui échouent une séquence de jeu peuvent tenter de la reprendre à partir du point de sauvegarde choisit. Comme Triclot le souligne – et c’est ici où réside la particularité du jeu vidéo – ce dispositif permet aux joueurs de rejouer à satiété une séquence. De cette manière, l’exploit du tir et le spectacle de la violence se conjuguent au désir, encore plus poussé, de la maîtrise du dispositif lui-même[11]. Le fantasme de maîtrise du temps qui opère ici puissamment, devient lui-même source de jouissance morbide.

Il m’a semblé significatif que cette analyse de la rejouabilité se trouve en tête d’ouvrage d’un livre qui traite de l’histoire culturelle des techniques et de la phénoménologie du play. La rejouabilité, en effet, fait part d’ombre à la jouabilité d’un jeu ; l’un présuppose l’autre – un jeu qui n’est pas rejouable perd son identité de jeu, et ressemble plutôt à l’improvisation ludique théorisée par Roger Caillois. La rejouabilité des jeux soulève cependant une vieille énigme philosophique – comment quelque chose d’identique peut-il produire de la différence ? Et dans le cas du dispositif qui nous intéresse, pourquoi la rejouabilité enferme-t-elle la différence dans la cage de l’identique – le temps abstrait ?

Dans les études qui se penchent sur la rejouabilité, les perspectives philosophiques sont majoritairement absentes. On aborde généralement la question de la rejouabilité du point de vue du game design – quelles techniques ou astuces employer pour améliorer la rejouabilité d’un jeu – du marketing – comment la rejouabilité ajoute de la valeur à un produit – ou encore la psychologie – quelles motivations poussent les joueurs à reprendre une séquence, une partie ou un jeu ?

Une exception notable : une dissertation qui aborde la rejouabilité sous l’angle de la philosophie nietzschéenne, par Benjamin Lavigne de l’Université Lorraine. Comme Lavigne le souligne, l’avancement dans un jeu vidéo se construit à partir d’une boucle de gameplay que le joueur doit maîtriser pour répondre aux défis qui lui sont proposés par le jeu[12]. En termes nietzschéens, cette mise en défi perpétuelle du joueur qui mélange frustration et plaisir, débouche sur l’expression d’une volonté de puissance chez ce dernier.

Certes, cette volonté de puissance est fantasmée, puisqu’elle se déroule dans le cadre d’un processus cybernétique d’automatisation[13]. Pour reprendre l’exemple de Mathieu Tricot déjà cité, les joueurs obsédés par leur performance, jouissant des effets, visibles à l’écran, de leur puissance décuplée par le dispositif, sont en réalité à la remorque des logiques algorithmiques sous-jacentes, qu’ils intériorisent en tentant de les maîtriser. Douglas Hoare a aussi analysé cette forme de dépossession de soi jouissive dans son opuscule Le jeu vidéo, ou l’aliénation heureuse[14]. Pour le dire en termes nietzschéens : le jeu vidéo, c’est le dernier homme, cet ultime produit du confort moderne, qui joue au surhomme à l’écran.

La rejouabilité, si commode et automatique dans le jeu vidéo, permet ainsi au joueur de simuler l’expérience de l’Éternel retour du semblable, certes vidé de son sens originel. Sous l’angle de la rejouabilité, la parabole de Nietzsche subit un sort ironique : une philosophie qui cherchait à élever l’esprit en le confrontant à la temporalité (« mène ta vie en sorte que tu puisses souhaiter qu’elle se répète éternellement ») – cette philosophie se délite en faisant tourner en boucle le temps, éternellement reconduit autour du fantasme de sa virtuelle maîtrise.

La séduction du jeu vidéo à thème historique, j’insiste, repose sur cette idée de revivre l’histoire par la maîtrise du temps. Récapitulons donc trois courants épistémologiques que Chapman emprunte au théoricien Alun Munslow, à l’aune de la rejouabilité.

L’approche reconstitutionniste du JVH donne une impression de « présence » au joueur dans un décor historique simulé. Pourquoi rejouer ? Pour reprendre une séquence suite à un échec, améliorer ses performances, revisiter un scénario, retrouver une atmosphère, etc. Effets de la répétition : le développement du réflexe analytique pour maîtriser un jeu ; l’appréciation critique de la construction du scénario / du jeu par effet de familiarisation…  

L’approche « constructiviste » : propose un modèle de simulation pour conduire des exercices d’histoire contrefactuelle. Cette épistémologie fournit un cadre de compréhension orienté sur le développement historique. Pourquoi rejouer ? Pour approfondir sa connaissance d’un jeu, répondre à l’appel de « faire l’histoire » du marketing du jeu, en étant à la fois l’acteur et l’interprète privilégié. Ou encore, modifier le code du jeu afin qu’il colle mieux à certains détails/scénarios historiquement advenus. Effets de la répétition : maîtrise du jeu par exercice comparatif de scénarios joués en succession, générer des hypothèses sur la causalité historique, franchir le pas du joueur-historien au développeur-historien par le modding.

Approche « déconstructionniste » : propose de « jouer avec les codes de l’histoire », en pointant l’aspect construit du scénario par le jeu. Repose sur l’emploi de techniques scénaristiques, mélange de genres improbables, anachronismes ironiques, etc. qui mettent en relief les artifices du discours historien ou de la narration historique dans le jeu vidéo. (Ex. Animus dans AC, Call of Juarez Gunsligner). Pourquoi rejouer ? Tout simplement, c’est en rejouant que l’aspect construit d’une narration transparaît. Le « pur jeu autoréférentiel » ou les codes jouent aux effets de signes : ex. Le modding quasi-historique. Effets de la répétition : Positif – outille le joueur pour le développement vidéoludique ou de l’écriture scénaristique. Négatif – déréalise l’histoire, en la réduisant à des codes ou conventions, un pur jeu de formes.

D’une certaine manière, on peut dire que la rejouabilité, dans son essence, est porteuse de la posture de la déconstruction, puisqu’elle porte l’attention du joueur sur les effets de rhétorique des codes de la culture vidéoludique ; ce qui a pour effet virtualiser l’histoire, la réduire à une sémiotique de codes signifiants – ou de l’encodage informatique, tout simplement.

Pour conclure, je tiens à souligner trois tendances structurelles lourdes qui débouchent sur l’exil de la temporalité concrète du jeu vidéo, à la faveur du temps machinique abstrait.

  1. Le temps du joueur au mode (de l’éternel) présent des jeux à thèmes historiques.
  2. La rejouabilité des jeux en raison de leur structure ludique et cybernétique.
  3. Le jeu vidéo comme objet consommatoire qui chosifie la temporalité de sa production.

Quelle « stratégies de reconquête de la temporalité » faut-il adopter, je vous laisse chers auditeurs en décider ce qui adviendra – que ces stratégies soient positionnées à l’intérieur OU l’extérieur du « cercle magique » du jeu, et de la loi d’airain de l’algorithme.


[1] Chapman, A. (2016). Digital games as history : how video games represent the past and offer access to historical practice (Ser. Routledge advances in game studies, 7). Routledge, Taylor & Francis Group, p. 5-13, 173-262.

[2] Chapman, Digital games as history…, p. 61-69.

[3] Chapman, Digital games as history…, p. 69-82.

[4] Juul, J. (2005). Half-real : video games between real rules and fictional worlds. MIT Press, p. 141-156.

[5] Chapman, Digital games as history…, p. 91-93.

[6] Chapman, Digital games as history…, p. 94-97.

[7] Chapman, Digital games as history…, p. 96.

[8] Chapman, Digital games as history…, p. 97-98.

[9] Chapman, Digital games as history…, p. 99.

[10] Triclot, M. (2011). Philosophie des jeux vidéo. Zones.

[11] Triclot, Philosophie des jeux vidéo, p. 19-22.

[12] « Dans une création numérique interactive nous pouvons localiser l’éternel retour dans l’ensemble « game over & play again » c’est-à-dire la rejouabilité du tout ou d’une partie d’un jeu, l’annulation de l’échec par la réussite et la sélection d’actions à accomplir pour continuer sa route. Les jeux d’arcade sans sauvegarde possible nommés « die and retry » (apprentissage par essai et erreur) illustrent parfaitement l’éternel retour avec le retour inéluctable à l’écran Game Over en cas d’échec. La permadeath (mort permanente) est un autre gameplay ou principe de jeu, qui est assimilable à l’éternel retour. Pas de vie supplémentaire ou de seconde chance, c’est un arrêt radical et brutal du jeu qui poussera le joueur à recommencer à zéro en perdant son personnage et toute son évolution. Ce concept oblige à prendre des décisions cruciales pour éviter de se voir déposséder de son équipement et de sa progression ce qui a pour effet d’intensifier la sensation de perte, de renforcer l’implication du joueur en donnant du sens à ses décisions : « Le fait de ne pouvoir mourir qu’une seule fois, de manière irréversible et cruelle […] aurait tendance à magnifier la vie ».

Les joueurs parlent parfois de « boucler le jeu » lorsqu’ils arrivent à le finir et à revenir fatalement à l’écran titre. Dans les jeux d’arcade connus pour leur grande difficulté, les joueurs qui parviennent à finir le jeu peuvent ensuite enchaîner sur un « second loop », puis un « troisième loop » etc. C’est-à dire qu’ils peuvent recommencer immédiatement une nouvelle partie mais à la difficulté démentielle, particularité exploitée par les superplayer visant le meilleur score au niveau mondial. » Lavigne, Benjamin (2017). « Nietzsche, le surhomme des jeux vidéo et le transhumanisme », Nancy/Metz : Université Lorraine, p. 7-8

[13] « [La] thèse [du théoricien de la cybernétique, Norbert Wiener] est que « le fonctionnement physique de l’individu vivant et les opérations de certaines des machines à communiquer les plus récentes sont exactement parallèles dans leurs efforts analogues pour contrôler l’entropie par l’intermédiaire de la rétroaction ». Ce qui donne en termes nietzschéens : contrôler la volonté de puissance grâce à l’éternel retour. […] En game design, ce retour instantané « vise à donner au joueur ce « superpouvoir » : celui de percevoir en même temps le problème et sa solution, ou au moins de recevoir certaines indications sur la manière de surmonter les difficultés ». […] Chacune de ces réponses de la machine de natures variées sont assimilables à des micro-récompenses gratifiantes pour l’utilisateur. Leur fonction est de montrer encore et toujours la réussite en divisant un grand but en d’innombrables petites taches faciles à réaliser. Le résultat est ce qu’on appelle un renforcement positif : induire le joueur à reproduire un certain comportement. » Lavigne, Nietzsche, le surhomme des jeux vidéo…, p. 8-9.

[14] Hoare, D. E. (2019). Le jeu vidéo ou l’aliénation heureuse. Post-éditions.

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